J'ai l'impression que le moment est venu pour moi de regarder les choses en face. Je viens de passer plusieurs nuits consécutives dans un état de véritable terreur. Il y a seulement 1 an, j'étais un homme équilibré, vigoureux, bien portant; aujourd'hui, je me sens affaibli, indécis, et, j'en ai peur, à la veille de devenir fou. Peut - être qu'il n'y a dans tout cela qu'un tissu d'imagination. Mais si je prends le parti de consigner par écrit tout ce qui se passe ici ou, du moins, ce que je crois qu'il se passe, je pourrai le lendemain, en relisant mes notes, acquérir au moins la certitude qu'il ne s'agit pas de choses que j'aurai rêvé au cours de la nuit.

J'ai donc décidé de commencer ce journal. Je me propose, non seulement d'y rendre compte des étranges expériences dont je viens d'être la victime, mais aussi de tenter de les juger à la lumière de la raison. Si je réussi à me livrer à une sorte d'examen de ces questions, qui me permette d'aboutir à une conclusion logique sur l'origine de mes terreurs, peut - être pourrai - je y faire face plus efficassement et retrouver mon équilibre, l'homme attirant et charismatique que j'étais autrefois.

Je prenais naguère, un certain plaisir à rédiger des essais et toute sorte de prose; l'effort que je vais fournir en essayant d'exposer mes pensées sous une forme cohérente m'aidera beaucoup à libérer mon esprit de cette terreur panique que m'inspire l'approche de la nuit. Cependant, je m'abstiendrai d'écrire la nuit, car, dès le coucher du soleil, des ombres épouvantables prennent possession de cette chambre; je deviens la proie d'une affreuse nervosité et je pourrais être conduit à exagérer. Je ne travaillerai donc que le matin, ou l'après midi, aux heures où, grâce à la bienfaisante lumière du soleil qui pénètre dans la pièce par les barreaux étroits, je me sens un peu l'homme que j'ai été.

Il n'y a pas si longtemps, mes amis m'avaient surnomé "le viking", en partie à cause de mon physique, mais aussi parce que j'étais considéré comme doué d'un courage, d'une témérité même, comme on n'en rencontre pas souvent. Je me demande ce qu'ils auraient pensé de moi la nuit dernière: une épave, un dément poussant des cris inarticulés. Et tout cela parce qu'une chose afreuse que je savais là, et que seul le black - out m'évitait de voir, me terrifiait!

Il y a seulement quelques mois, si quelqu'un s'était avisé de me dire que j'étais un sujet prédisposé aux phénomènes psychiques, je m'en serais certainement défendu avec énergie. Aujourd'hui, je suis obligé de l'admettre, sinon j'en serait réduit à raconnaître que je suis vraiment entrain de devenir fou. A tort ou à raison, je crois que je devient peu à peu possédé par une sorte de démon que ni la lecture, l'écriture et même ma plus grande passion: le piano, ne parviennent à exorsiser... Il ne s'agit pas de ceux qui vont tirer par les pieds les écossais supersticieux; je veux parler des forces du mal, qui depuis mon arrivée dans cette enfers sur terre, ne cessent de se décupler sous tous les pires aspects, et se déchainent avec un plaisir immonde sur des pauvres hommes comme moi. Je crois très honnêtement que ce lieu empli de souffrance ne cessera jamais de me faire trembler face à ses attrocités grandissantes.