Ce soir là, en sortant de la fac, j'avais décidé, moi, simple petite étudiante et véritable tête de linotte, d'aller sur les lieux qui me hantaient depuis plusieurs mois déjà. Dès le jour où j'ai reçu cette lettre, j'ai commencé à paniquer. A présent, j'en suis venue à la conclusion qu'il fallait vaincre le mal par le mal. Quoi qu'ils me veuillent, il fallait que je trouve un moyen de détourner leurs intentions en ma faveur, mais j'ignorais encore comment. Une chose était sûre cependant, sur place je trouverai, pour la simple et juste raison que je n'avais rien à perdre dans ma petite vie tranquille.
Simplement, sur le chemin, je sentais en permanence un mauvais regard posé sur moi. Je pensais me faire des idées dues à mon traque, car je ne savais pas vraiment dans quoi je me lançais, mais ce n'en était rien. Une énorme berline sombre dérapa devant moi au seul instant où je pensais être enfin tranquille. Je voulus reculer à toute vitesse, mais mes jambes refusaient d'entendre quoi que ce soit; je restais clouée au sol; et, sans même m'en rendre compte, je me retrouvais projetée à l'arrière de celle - ci. Ne réalisant même pas dans quel pétrin je m'étais mise, je me jetais contre la portière, en vain, j'étais coincée. C'est à ce moment là que je paniquai le plus, car la peur me faisait voir flou et j'avais l'impression de sombrer dans un profond coma, jusqu' à ce que la voiture donne un énorme coup de frein qui me fit décoller de mon siège.
Comme si cet arrêt brutal m'avait remis les idées en place, j'aperçus devant moi une petite fille rousse. Je ne compris pas cette vision au départ, puis je constatai que le par brise avait volé en éclat; il y a avait du verre partout sur les sièges. De gros morceaux de verre rougi par le sang du conducteur et du passager avant dont certains restaient enfoncés au creux de leur peau blanche. J'eu une envie de vomir et la petite rouquine vint m'ouvrir la portière.

- Maggie Hyde, j'ai besoin de votre aide.

Voici ce que l'enfant me dit. En plongeant mon regard d'incompréhension dans le sien je remarqua enfin ses traits gracieux et ses grands yeux gris, elle ne devait dépasser les 11 12 ans. Je n'avais pas compris son geste et je m'en méfiais étrangement, regrettant déjà de m'être aventurer dans cet endroit. Parvenant avec difficulté à m'extirper de l'engin, je titubais dans un paysage sec et désertique, abandonné de toute forme de vie. Pourquoi cette fillette me demandait - elle de l'aide? Après - tout, c'est elle qui venait de me sauver la mise. Je ne comprenais rien, alors je me contentai de lui accorder ma confiance. J'en étais réduite à m'accrocher à une enfant de 12 ans; qui devenait ma seule chance de m'en sortir.

- Moi c'est Jude W...

- Waldon! Oui je sais... vous allez m'aider?

Comment diable connaissait - elle mon prénom? Je ne voyais là qu'une explication, c'est qu'elle ait un rapport avec ce centre ou ces hommes, mais bon sang ce n'était qu'une enfant! Je m'assis, sous le choque, et elle vint s'accroupir près de moi, comme si nous nous connaissions depuis toujours. Elle entama en ma compagnie un long récit, celui de sa vie et ne m'épargna aucun détail. Je l'écoutais de ma plus grande attention, buvant chacune de ses paroles. Je ne m'étais pas trompée, ces hommes voulaient bien faire de moi leur cobaye, comme cette si jolie petite fille l'avait été. Elle me parla longtemps de son frère, un certain Peter, plus connu sous le surnom de Rainy à partir duquel elle avait été crée. J'eu du mal à y croire, je me croyais plongée en plein film de science - fiction; un de ces grands chez d'œuvre d'imagination qui vous marquent à jamais. Elle m'expliqua ensuite que si j'étais là pour trouver des preuves, je me devais de faire sortir son frère qui s'était sacrifié pour sa vie. Je le devais d'autant plus, que sa tante et seule famille, une certaine Elena, ne l'avait pas cru et avait appelé la police, piquant une crise monstre. C'était simple, elle croyait son fils parti en mission d'aviation; ce qui n'était pas entièrement faux puisque c'était son job au centre; mais mort il y a 2 ans dans un crache: l'année de création de cette enfant. Je collai mes main sur mon visage, ne réalisant toujours pas ma situation, tandis qu'elle poursuivit sur un ton tout aussi neutre. Elle n'avait bien entendu, aucune nouvelle de son aîné depuis l'évasion, et soupçonnait les dirigeants de vouloir profiter de sa discrétion en le soumettant à toutes sortes d'expériences traumatisantes afin de le rendre fou.

Je sentis un vide à mes côtés, je soupçonnait donc qu'elle s'était levée, quand je vis une main fine se tendre vers mon visage. Je ne me souvient que vaguement de ses propos, mais elle me suggéra de me faire passer comme assistante là - bas en modifiant simplement la lettre que j'avais reçue. C'était risqué, mais bizarrement je m'en fichais complètement. Si je pouvais faire quelque chose d'utile une fois dans ma vie alors je ne devais pas hésiter un instant. Elle se mis soudain à pleurer, décrétant qu'elle était désolée, ses larmes coulèrent à flot et un nœud se noua au plus profond de mon estomac. Je la pris dans mes bras doucement et elle se laissa faire, diminuant peu à peu ses pleurs jusqu‘ à se calmer. D'un pas déterminé, je la suivis jusqu'au centre, au cœur d'Aprilia. Jamais je n'aurai pu imaginer un endroit aussi sordide et effrayant. Le bâtiment était gigantesque, la façade entre une prison et d’un asile de fou. L'impression qui se dégageait était digne du lieu le plus hanté qu‘il n‘est jamais existé; j'en eu des d’énormes frissons en pénétrant à l'intérieur. Des hommes dont j'ignoraient leur position ne bronchèrent même pas et ne décrochèrent pas un simple mot, se contentant d'ouvrir la main pour que j'y dépose la lettre.

- Suivez - moi. Dit le plus aigri d'entre eux.

Je me retournais et la petite fille avait disparue, la peur me revint.

C'était la nuit de pleine lune, la journée avait été belle, le ciel presque sans nuage, si bien que je devais m'attendre à l'assaut le plus intense. Pendant un laps de temps qui me parut un siècle, je restai étendu, mon esprit tournant en rond, en proie à une appréhension maladive, et je priais par instants; puis mon coeur se mit à marteler ma poitrine, une sueur glacée ruissela sur mon visage. Je tournai la tête et vis l'ombre de la chose sur la bande de lumière projetée par la clair de lune. Elle était tapie sur l'appui de la fenêtre centrale, dans le coin de gauche; son corps maléfique qui s'en dégageait me hérissait, je commençais à avoir la chair de poule sur la nuque.
Je me surpris à compter mes battements de coeur; j'étais arrivé à quatre-vingt-neuf quand je commençai à entendre les coups frappés par la chose, comme deux minutes auparavant. J'essayai de continuer à compter, pour m'abstraire de ces bruits rythmés, mais je n'y parvins pas.
De nouveau, ce morse infernal se traduisait dans mon cerveau par cette petite voix claire et argentine qui ne cessait de répéter: "Il faut laisser passer. Il faut laisser passer..."
Puis le rythme changea et devint celui du balancier d'une vieille horloge: "Oublie... Rappelle-toi. Oublie... Rappelle-toi... Oublie... Rappelle-toi" Avec autant de certitude que s'il m'avait expliqué ses intentions. Je savais que le monstre essayait de me magnétiser, de telle sorte que mon subconscient accepte d'accueuillir certaines instructions, les oublie, puis qu' à un moment donné, il se rappelle et me face agir en conséquence.
En un clein d'oeil, toutes sortes de pensées se heurtèrent dans mon cerveau terrifié: est-ce que l'horreur pourrait m'hypnotiser contre ma volonté? Qui se cachait derrière ces apparitions étranges? Pourquoi m'infliger ça si ce n'est pour me rendre fou? Me tester? Pourquoi avoir omis deux nuits précédentes auparavant cette étapes si importante? Est-ce parce que, peut être, elle était mentalement aussi aveugle et maladroite qu'elle semblait l'être physiquement? Quelle était pour moi la meilleur façon de contrecarrer ses projets maléfiques? Quels moyens pourrais-je employer pour empêcher cette petite voix cristalline de s'imposer à mon esprit?

De toutes ces questions, la dernière était celle qui nécessitait de la manière la plus urgente une réponse immédiate. La sueur ruisselait sur mon visage et je me tordais les mains, au comble de la terreur, mais j'essayais pourtant de me concentrer pour trouver une réponse.
Celle - ci vint soudain, au moment où je gémissais d'impuissance. Il est difficile de comprendre une phrase quelconque dans une pièce où quelqu'un est en train de chanter, et c'est encore pour ainsi dire impossible lorsqu'on chante sois-même. En chantant à tue-tête, je pouvais éliminer cette petite voix insidieuse et maléfique qui ne cessait de proférer les mêmes paroles directement à mon esprit.
Je suppose que c'est le fait d'avoir prié avec tabt de ferveur, bien que ma profonde conviction d'athé persiste encore en moi, qui me conduisit instinctivement à me lancer dans un cantique. Il commençait par Jésus-Christ, mais le rythme semblait si lent et si funèbre que j'enchaînai aussitôt sur En avant soldats du Christ!
L'effet fut immédiat. La voix s'atténua et la chose de la cour en eut connaissance. Après être restée très tranquille, elle repris soudain sa danse diabolique, se heurtant contre les vitres. Frémissant de rage, de haine et de fureur, elle allait et venait en montant, en descendant; elle précipitait son corps massif sur les vitres.

Mais mon triomphe fut de courte durée. Les seuls services religieux auquels j'eusse assisté depuis mon enfance étaient les rassemblements auxquels je devais obligatoirement assister pendant mes premiers mois à la R.A.F; si bien que je ne me rappelais que la première strophe et le refrain de ce chant payen. Je les chantais trois frois en cherchant désespérément dans ma mémoire un autre cantique, mais rien ne venait. Alors, comme je commençais à faiblir, les coups recommencèrent: "Arrétez cela! Arrétez cela!" ordonnaient-ils avec fureur.

Je suivais l’homme dans les couloirs gris, je ne sais combien de portes et d’escaliers je dû passer pendant moins de 15 minutes. L’homme me parut charmant lorsqu’il m’adressa un sourire, visiblement enjouée de ma venue. C’est donc qu’il ne soupçonnait rien, à moins qu‘il n‘en laisse rien parraître, ce qui ne me disait rien de bon. En le voyant ainsi, c’était un bel homme. Ses cheveux étaient couleur poivre, ce qui lui donnait un air sérieux, mais je suis quasi - certaine qu’il n’avait pas plus de 35 37 ans. Il hotta sa blouse blanche, qui fit basculer sur le fauteuil de son bureau en métal massif et s’assit avec souplesse, dévoilant un costume d‘une grande élégance. Il désigna le fauteuil en face de lui et je compris aussitôt que je devais faire de même. J’ignorai tout de ce qui allait se passer, mais j’était très impressionnée. Là, j’eu droit à une série de testes et de questions, dont, très honnêtement, je ne trouvais pas le moindre sens. Il me forçait régulièrement à plonger mes pupilles grises dans les siennes, d’un bleu limpide et sans égal, et me donnait alors des instructions précises.
Retranscrire ses paroles me serait impossible, en réalité, je n’en garde qu’un vague souvenir. C’est comme si ma « mission » s’était gravée dans mon subconscient pour ressurgir à un moment donné. Je m’inquiétais un peu de mon état, pourtant je me sentais bien, étrangement bien.
L’homme, qui me dit s’appeler Elwood, se leva avec autant de charisme et me demanda une fois encore de le suivre.

Le trajet me mènerait à mes appartements, me dit-il, et il se montra très stricte lorsqu’il m’avertit de mes horaires. Je ne devais faire ni plus ni moins, au risque d’avoir des « soucis » avec la direction du centre, et je ne pouvais rentrer chez moi que les week end jusqu’à nouvel ordre.
Ce qui me parut fou, et le mot est plus que bien choisi, c’est qu’il me soutenu qu’Aprilia était un centre psychiatrique pour des personnalités importantes. J’eu doucement envie de rire car l’argument était ridicule, mais je devais paraître convaincue, sinon je n’aurai aucune chance de réussir.

L’itinéraire devait simplement me mener à ma chambre, mais en passant devant un couloir encore plus sombre que les autres, nous entendîmes, le docteur et moi, des cris épouvantés; à vous en donner la chaire de poule. Il ne parut pas surpris, pire, je crus voir un rictus révélateur de satisfaction et d’un certain plaisir sadique se dessiner sur ses lèvres. Mais je devais me tromper, pourquoi de tels cris provoqueraient - ils du plaisir en les entendant?
En nous rapprochant, nous réalisâmes qu’il ne s’agissait pas de cris, mais de chants! Quelqu’un chantait à tue - tête, ce que j’eu encore plus de mal à réaliser quand les paroles devinrent audibles. Une horrible chanson!

- Pardonnez - moi Lena, mais je vais devoir arrêter ça et je regrette que vous fassiez ainsi connaissance avec votre patient, mais son cas est assez grave. Me dit le médecin.

Je crus bien voir cette fois, le même rictus, ce qui émana de moi un fort énervement, qui, je l’espère, ne s’est pas fait sentir. Il entra en trombe dans la chambre et je le suivis, plus qu’intriguée de ce que j’allais y découvrir. Un homme, pétrifié sur son lit hurlait des chansons profanes l’air épouvanté. Il paraissait si engouffré dans sa crise, en pleine transe, qu’il ne réagit même pas à notre intrusion dans sa cellule.

- RAINY! Par pitié cessez de chanter cette horrible chanson! Ordonna le médecin.

Ce n’est qu’ à cet instant, qu’arrêtant son regard sur moi, il se stoppa et parut tout d’un coup normal. Ce fut du moins ce que je pensais avant qu’il n’entre dans une rage folle et saisisse le médecin par la gorge en l’injuriant des pires insultes. Je pris peur face à cette scène violente et dû le gifler pour qu’il lâche enfin Elwood. Ma réaction le désarçonna, mais j’avoue ne pas avoir su comment réagir face à ce débordement. Soudainement calme, il me regardait d’un air furieux et un silence s’installa entre nous trois.

En désespoir de cause, plutôt que de rester silencieux, je passai du sacré au profane et commençai à hurler il y a une taverne dans la ville. A partir de là, je me lançai dans une demi-douzaine de vieux refrains qui faisaient partie du répertoire, qu'en des jours déjà lointains, nous ebtonnions d'une voix éraillée, groupés autour du piano de messe, à l'issue de l'un de ces dîners où étaient invités les camarades des autres formations. Je n'avais qu'un objectif: continuer à chanter. Je n'essayais donc pas de faire une sélection. Je pris les airs les uns après les autres, à mesure qu'ils me revenaient en mémoire; il n'était donc guère étonnant que des chansons comme Les amours de Natalie, Petites horreurs ou Les nouveaux beaufs vinssent se placer entre des refrains légers tels que Un officier allemand à traversé le Rhin, Les rue piétonnes, et Elle était pauvre mais honnête.

Je guelais à tue - tête La Putain de Jérusalem quand la porte s'ouvrit brusquement. Il y avait là Elwood qui tenait une lampe dans la main droite et, à côté de lui, celle que je supposai être sa nouvelle assistante. Elle m'avait l'air bien fière, Elwood doit se ravir de bénéficier des services d'une si jolie jeune fille, lui pour qui "quitte à pouvoir coucher avec..."
Par suite sans doute de la peur, de la contrainte et de l'éffort que je venais de fournir, j'étais si près de perdre les pédales que cela ne me fit aucun effet. Cependant, entraîné par le rythme, et devant l'impérieuse nécessité de toujours chasser cette voix de démon, je continuai à chanter deux ou trois vers. C'est seulement lorsqu'Elwood eut hurlé à mes oreilles: "RAINY! Par pitié cessez de chanter cette horrible chanson!" que je me rendis compte du véritable sens du refrain que j'étais en train de cléroner.
Au même instant, je surpris le regard de la demoiselle, et Dieu sait pourquoi, j'eu subitement honte. A notre époque, il faut plus que quelques mots osés pour choquer la plupart des filles, et, puisqu'elle était ici, elle devait en avoir entendu bien d'autres. Tout de même, pendant quelques secondes, j'eu l'impression d'avoir été surpris en train de faire quelque chose de très mal.

Mais cette impression se dissipa aussitôt, chassé par des motifs autrement puissants d'agitation qui continuaient à me faire suer et trembler de terreur. La tête renversée en arrière pour voir mes visiteurs placées au bout du lit, je la vis elle, cette chose de l'ombre! Et je voyais devant moi celui que je croyais et que j'avais depuis toujours de bonnes raison de croire qu'il était le responsable: Elwood.
S'en était trop, mes nerfs lachèrent sans que je ne m'y surprenne et je le saisis à toute vitesse par la gorge. Je tendis le bras et, désignant la bande de lumière blanche, je m'écriai:

<< Regardez bon sang! Là! Vous appelez ça une halucination? >>

Je sentis une main se plaquer sur ma joue. Je n'aurai jamais cru qu'elle oserait! J'avais en face de moi le stéréotipe parfait de l'ange, égal à ceux des histoires que me lisait ma vieille nanie Potter. Je me suis d'ailleurs toujours demandé pourquoi les anges étaient tous représentés comme des femmes à la longue chevelure blonde et bouclée. Dès l'instant où j'ai connu Guglia, je l'avais de suite considéré comme mon ange brun... je lachai mon emprise sur Elwood aussitôt.
Frustré mais calmé, je dirigeai mon regard dans la direction désignée par ma main. Avec un gémissement je laissai retomber ma tête sur l'oreiller. L'ombre avait disparue.

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